Le dub ne se limite pas à être une version "remixée" du reggae, comme on l’entend parfois trop rapidement. Il s’agit d’une approche radicale du son, initiée par des pionniers tels que King Tubby, Lee "Scratch" Perry et Augustus Pablo dans les années 70. Le concept clé ? Découper, déconstruire, manipuler. Dans les studios jamaïcains, ces ingénieurs du son ne se contentaient pas de mixer, ils transformaient. Utilisant des tables de mixage comme de véritables instruments, ils jouaient avec les pistes instrumentales, ajoutant reverb, delay, échos infinis, et coupant des morceaux pour laisser le silence rythmer la musique.
C’est cette idée de studio en tant qu’outil créatif, bien au-delà de son rôle de simple lieu d’enregistrement, qui allait redéfinir la musique moderne et poser les bases des musiques électroniques telles qu’on les connaît aujourd’hui. Les bandes analogiques devenaient les terrains de jeu d’expérimentations sonores inédites. Chaque mix devenait une version unique et éphémère, avec une texture propre, une signature presque organique.
Si on regarde de près, une bonne partie des techniques et approches qui définissent les musiques électroniques trouvent leur origine ou leur inspiration dans le dub. Voici les aspects essentiels :
Le spectre d’influence du dub est immense. Si le reggae originel servait souvent de base aux expérimentations des ingénieurs du son jamaïcains, la manière dont le dub a exploré les textures et les effets a transcendé les frontières géographiques et stylistiques pour évoluer dans d'autres genres. Quelques exemples significatifs :
Dans les années 90, des labels comme Basic Channel et Chain Reaction à Berlin se sont approprié l'esthétique du dub, en fusionnant ses techniques avec les structures hypnotiques et répétitives de la techno. Des artistes comme Maurizio ont construit des paysages sonores profonds et immersifs, fusionnant echos et basses caverneuses. Le terme "dub techno" est désormais une pierre angulaire de la scène électronique underground.
Le Royaume-Uni a une longue histoire d’incorporation du dub dans sa propre culture musicale. Dès les années 80, des artistes comme Adrian Sherwood d’On-U Sound explorent le dub dans des contextes industriels et expérimentaux. Plus tard, des genres comme le dubstep – avec des pionniers tels que Digital Mystikz ou Benga – puis la bass music anglaise, continuent à construire sur les fondations posées par le dub. Ici, ce sont les basslines massives, les rythmes syncopés et l’utilisation minimale des voix qui maintiennent un lien direct avec les maîtres jamaïcains.
Autre grande exportation anglaise, la drum’n’bass – et son ancêtre musical, la jungle – puise sans honte dans le dub. Les basses surpuissantes et les manipulations de rythmes saccadés, associés aux samples retravaillés, rappellent les expérimentations des pionniers du dub. Il suffit d'écouter des artistes comme Goldie ou LTJ Bukem pour sentir cette influence sous-jacente.
Le dub, c’était déjà l’essence du DIY (Do It Yourself). Les ingénieurs comme King Tubby travaillaient avec des moyens limités, réutilisaient des bandes existantes, bricolaient eux-mêmes les équipements pour affiner leurs sons. On retrouve cette philosophie dans la culture électronique underground où les home-studios, les modulateurs et les machines bricolées font partie intégrante de la scène. La simplicité à l’origine du dub favorise une créativité infinie et encourage ceux qui veulent expérimenter à plonger dans la production sans attendre des moyens faramineux.
Aujourd’hui, le dub continue de se réinventer à travers de nouvelles formes. On le retrouve dans le travail d’artistes expérimentaux comme Burial ou Demdike Stare, qui imbibent leurs textures d’ombres dubby. Les scènes hybrides comme le dub techno japonais (Moritz Von Oswald Trio et leurs collaborations avec Vladislav Delay) ou même le dub électronique ambient exploré par des labels comme Echochord ou Yearling témoignent de cette longue histoire d'évolution.
Plus qu’un genre ou un style, le dub est une philosophie, une manière de penser le son. La culture électronique underground lui doit une dette immense, et sa capacité à repousser les frontières est un rappel constant que, parfois, pour aller de l’avant, il faut d’abord déconstruire et revenir à l’essence-même du son.