23 février 2025

Plongée au cœur de l’évolution d’une culture sonore insoumise : l’histoire de la musique underground

Les origines : entre marges artistiques et besoin d’exprimer l’altérité

La musique underground trouve ses racines dans les marges des sociétés occidentales du début du XXe siècle. Le terme lui-même émerge après la Seconde Guerre mondiale, souvent associé aux mouvements artistiques et culturels qui rejettent la société de consommation, comme la Beat Generation ou les dadaïstes bien avant eux. Dans les années 50, le jazz bebop incarne l’une des premières expressions sonores underground. Des artistes comme Charlie Parker et Thelonious Monk refusent de se plier aux attentes conventionnelles, expérimentent et jouent dans des clubs intimistes, à l’écart des grandes salles.

Dans la même veine, le rock ‘n’ roll des années 60 naît sous l’impulsion de figures contestataires avant d’être absorbé par l’industrie. Mais sous cette couverture commerciale, des pionniers comme le Velvet Underground ou Captain Beefheart continuent à expérimenter dans l’ombre, opérant souvent en dehors des radars des masses.

Punk rock : l’étincelle d’une rébellion sonore

Quand on évoque la musique underground, une étape majeure s’impose : l’explosion du punk à la fin des années 70. Inutile de tourner autour du pot : le punk, c’est bien plus qu’un genre musical. C’est un manifeste contre les conventions, une insurrection purement DIY (Do It Yourself).

Au Royaume-Uni, des groupes comme Sex Pistols et The Clash dénoncent un système inégalitaire et donnent une voix à une jeunesse désabusée. De l’autre côté de l’Atlantique, la scène new-yorkaise – avec des groupes tels que The Ramones ou Patti Smith – plonge dans une sphère plus artistique mais tout aussi viscérale. Les fanzines, les petites salles comme le CBGB à New York ou le 100 Club à Londres deviennent des bastions de cette énergie punk. Si ce mouvement finit par être récupéré en partie par le grand public, il donne naissance à des sous-genres – hardcore, post-punk – qui poursuivront l’exploration en marge.

L’irruption de la musique électronique dans l’underground

Avec les années 80, un autre pilier de la musique underground fait son entrée : la musique électronique. Les premiers beats martelés dans des entrepôts abandonnés deviennent le carburant d’un contre-mouvement, opposé à un monde saturé par la pop sucrée de MTV.

Détroit et Chicago deviennent les épicentres d’une révolution sonore. La house de Chicago, portée par Frankie Knuckles et Ron Hardy, rencontre la techno de Détroit de pionniers comme Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson. Ces genres explosent en Europe dans les raves illégales des années 90. Londres voit la montée du jungle et du drum and bass ; Berlin, tout juste réunifiée, devient le QG techno avec des lieux mythiques tels que le Tresor.

Ce qui caractérise la scène électronique underground, c’est son accès démocratisé : pas besoin d’un gros deal avec un label, un sampler bricolé suffit. La culture du DJ et du live électronique place l’expérience sonore, presque spirituelle, au centre de l’histoire.

Le hip-hop indépendant : un esprit résolument underground

Boucle à 360 degrés : revenons aux années 70 à New York, où le hip-hop émerge dans les quartiers oubliés du Bronx. Ce genre, lui aussi, porte la marque de l’underground. En toile de fond : pauvreté, gangs, mais aussi créativité invincible. Premier cri contestataire, soutenu par des MCs, DJs et B-boys, le hip-hop devient un moyen d’exprimer l’identité et les luttes de communautés marginalisées.

Mais c’est dans les années 90 que le hip-hop renforce son affiliation avec l'underground. Des labels indépendants comme Rawkus Records soutiennent des artistes comme Mos Def et Talib Kweli, tandis que l’essor des mixtapes DIY offre une plateforme à des voix alternatives comme MF DOOM. Ce lien avec le Do It Yourself reste une constante dans le hip-hop indépendant, perpétuant son esprit contestataire jusque dans les années 2000, avec des artistes comme Aesop Rock ou Oddisee.

Les années 90 : une décennie qui façonne l’identité culturelle de l’underground

Les années 90, c’est l’âge d’or du concept même d’underground. Alors que les majors capitalisent à outrance sur des boys bands ou des divas pop, les contre-cultures se multiplient. La grunge, portée par Nirvana, Pixies ou Soundgarden, incarne un paradoxe : issue de la scène underground de Seattle, elle explose soudain aux yeux du monde entier. Pourtant, son énergie brute reste indéniablement ancrée dans cette éthique DIY.

Á l’échelle mondiale, des scènes locales surgissent. En Europe, des styles comme le trip-hop (Bristol avec Massive Attack et Tricky) ou la techno hardcore néerlandaise attirent l’attention de milliers de jeunes. L’underground devient global, mais de manière hyper segmentée, chaque scène offrant ses particularités.

Les lieux incontournables de l’underground

L’underground n’existerait pas sans ses bastions, ses lieux où l’alchimie magique se produit. Parmi eux :

  • CBGB (New York) : véritable laboratoire pour le punk et le post-punk dès les années 70.
  • Tresor (Berlin) : temple de la techno, catalyseur de la Berlin réunifiée.
  • The Warehouse (Chicago) : le lieu de naissance spirituel de la house music.
  • Fabric (Londres) : club électronique emblématique des années 2000.
  • The Hacienda (Manchester) : bastion de la scène acid house britannique.

Technologie et révolution de la diffusion

L’avènement d’Internet a totalement redéfini les codes de l’underground. Les réseaux peer-to-peer comme Napster dans les années 2000, puis SoundCloud, Bandcamp et les forums spécialisés, ont permis une diffusion mondiale. Aujourd’hui, TikTok et les playlists de niche sur Spotify servent aussi ironiquement à dénicher des perles underground – avec l’éternel risque que ces artistes soient trop vite catapultés dans la hype grand public.

La technologie a rendu accessible ce qui était autrefois enfermé dans des clubs underground ou des mixtapes secrètes. Le revers ? L’intimité, le caractère exclusif de ces scènes est parfois mis à mal. Mais là encore, c’est l’adaptation qui prime.

Les nouveaux courants de l’underground

Alors, où va l’underground en 2023 ? Les frontières sont floues, certes, mais la créativité explose. Des genres expérimentaux comme l’hyperpop, porté par des artistes comme SOPHIE ou Arca, réinventent les codes. Le monde du bruitisme électronique (ou noise) connaît une renaissance avec des labels comme PAN ou Sacred Bones.

L’underground reste vivace surtout grâce à sa capacité à se réinventer, à assimiler les luttes contemporaines : féminisme, lutte LGBTQ+, et crise climatique. Des festivals comme Unsound en Pologne ou Nyege Nyege en Ouganda montrent que cette scène n’a jamais été aussi globale et inclusive.

L’underground, une culture éternelle

La musique underground, c’est plus qu’un genre : c’est un mouvement, un esprit. À chaque époque, ses protagonistes, ses bastions, et ses communautés. Ses défis évoluent, mais sa vocation reste la même : bousculer, inspirer, offrir un espace aux marginaux et aux avant-gardes. Tant qu’il y aura des voix qui refuseront de se fondre dans le moule, l’underground vivra.

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