Pour comprendre l’origine de la musique underground, il faut d’abord s’attarder sur la définition du mot lui-même. "Underground", littéralement "sous-terrain", désigne tout ce qui se développe en dehors des structures dominantes. En musique, cela a toujours concerné des créateurs qui s’affranchissent des règles imposées par l’industrie, refusent les formats commerciaux et préfèrent l'authenticité à la popularité.
Historiquement, les prémices de la musique underground remontent aux styles marginalisés dès les débuts de l’industrie musicale. Dans les États-Unis des années 1920, le jazz émerge dans les clubs de la Nouvelle-Orléans, porté par des artistes noirs souvent ignorés des cercles musicaux classiques. Le jazz est radical à l’époque : son improvisation, ses rythmes syncopés et sa liberté créative le rendent indésirable dans les sphères dominantes. Pourtant, sa communauté grandit, à l’écart des regards, dans des clubs privés et des salles clandestines.
Des décennies plus tard, dans le chaos des années 60, l’idée de "contre-culture" marque un tournant. Aux États-Unis, le folk contestataire (notamment porté par Bob Dylan avant sa transition électrique) et le rock psychédélique se développent comme une opposition politique à l’ordre établi, en écho aux mouvements anti-guerre, aux luttes pour les droits civiques et à la rébellion contre le conservatisme. En parallèle, au Royaume-Uni, l’underground prend une forme plus radicale avec l’arrivée des sons punk du milieu des années 70.
Impossible d’évoquer l’underground sans parler de son enfant terrible : le punk. Né dans les années 1970, le punk n’est pas seulement un genre musical, c’est un cri de rage contre la société. Au cœur de ce mouvement, on trouve des groupes comme les Ramones, The Clash ou Sex Pistols, qui infusent un son brut et agressif, loin des productions léchées du rock mainstream de l'époque.
Sans le punk, le « do-it-yourself » (DIY) n’aurait pas connu un tel essor. Les artistes de cette mouvance produisent leurs disques eux-mêmes, distribuent leurs créations dans un réseau underground de magasins indépendants, et organisent des concerts dans des lieux informels : garages, petits bars, ou entrepôts désaffectés. Ce n’est pas seulement une esthétique musicale, mais une méthodologie et une mentalité qui marqueront durablement toutes les formes futures de l’underground.
L’underground, néanmoins, ne s’enferme pas dans le punk. Dans les années 80 et 90, une révolution sonore s’opère grâce à l’arrivée de la musique électronique. À Detroit, des artistes comme Juan Atkins, Kevin Saunderson et Derrick May, souvent considérés comme les pères fondateurs de la musique techno, créent des compositions minimalistes sur des drum machines telles que la Roland TR-808. La house, quant à elle, prend racine à Chicago grâce à des figures comme Frankie Knuckles ou Ron Hardy.
Ces sonorités électroniques se propagent ensuite dans les raves illégales des années 90, avec des événements organisés en dehors des institutions, souvent dans des lieux secrets. En Europe, l’Angleterre devient rapidement le berceau de ces nuits électrisées par des DJ comme Carl Cox ou des labels comme Warp. Le lien avec l’underground est évident : l’urgence de danser librement, sans contrainte commerciale, domine.
Une autre pierre angulaire de l’underground réside dans les labels indépendants. À une époque où les majors (Sony, Universal, etc.) dominent tout, ces labels indés assurent la survie d’un act artistique authentique. Certains labels deviennent de véritables institutions, comme Sub Pop pour la scène grunge de Seattle, ou Ninja Tune, spécialisé dans les musiques électroniques innovantes depuis les années 90.
Ces labels n’ont pas les moyens marketing des géants, mais ils compensent par une proximité avec leurs artistes et une vision claire. Ils incarnent un antidote au monde aseptisé de la musique produite en série.
À l’heure du streaming et des réseaux sociaux, l’underground n’est pas mort, mais il a évolué. Des plateformes comme Bandcamp ou SoundCloud deviennent de véritables places fortes pour les artistes indépendants cherchant à contourner les algorithmes oppressants des géants comme Spotify. Des collectifs organisent des événements dits DIY, tandis que de nouvelles scènes émergent aux quatre coins du monde : trap en Afrique du Sud, techno industrielle à Berlin, ou bass music à Bristol.
Cependant, la question survient : peut-on concilier accessibilité globale et esprit underground ? Certains puristes s’interrogent, mais une chose est sûre : l’underground continue de résonner, d’inspirer et d’évoluer.
Au-delà de la musique, l’underground influence des pans entiers de la culture pop, de la mode au graphisme en passant par l’art contemporain. Prenez par exemple le graffiti, longtemps vu comme un art illégal, ou la mode punk, qui a fini par être récupérée par les grandes enseignes (pour le meilleur ou pour le pire). Mais l’idée centrale perdure : l’underground reste initialement à l’écart, souvent contre le courant dominant, avant d’être parfois absorbé par celui-ci.
Les origines de la musique underground racontent un perpétuel combat pour la liberté d’expression et la rupture avec l’establishment. Que ce soit dans une cave de la Nouvelle-Orléans, un entrepôt de Manchester, ou un studio semi-amateur à Nairobi, cette musique parle à ceux qui refusent la standardisation, et veulent entendre - ou créer - quelque chose de vrai.
L’histoire de l’underground est celle de toutes les cultures qui se cachent pour mieux éclater. Et si la question reste ouverte sur son avenir face aux nouvelles technologies et aux pressions du commerce, le frisson intact d’une track méconnue qui bouleverse tout sur son passage, voilà ce qui rend l’underground immortel.