19 avril 2025

Plongée dans la collision entre musique industrielle et culture underground

Quand l'expérimentation devient une déclaration d’intention

La musique industrielle émerge au milieu des années 1970 en marge des chemins balisés du rock, du punk ou de l'avant-garde classique. Ce genre trouve son origine au Royaume-Uni avec des groupes pionniers tels que Throbbing Gristle, qui créent le terme "industriel". L’idée derrière cette appellation est de refléter un son froid et mécanique, influencé par le bruit des machines et la production de masse. Un paradoxe fascinant pour un mouvement éminemment artisanal, car ces musiciens, loin des grandes infrastructures, travaillaient avec les moyens du bord. Bricoler des magnétophones, détourner des instruments classiques, sampler n’importe quelle source sonore… C’était déjà ça, l’attitude DIY (do it yourself) : ne pas attendre une légitimité, mais la créer dans son garage ou sa cave.

L’approche industrielle était, au départ, une expérience sociologique autant qu'artistique. Des artistes comme Throbbing Gristle ou Cabaret Voltaire ne cherchaient pas seulement à composer des morceaux ; ils interrogeaient la société. Quel rôle joue la musique dans un monde teinté par les oppressions politiques et les avancées technologiques ? Voilà une des questions centrales de leur travail. Et ce type de questionnement radical, loin du divertissement standardisé, s’inscrit naturellement dans l’état d’esprit de la culture underground.

La figure de l’indépendance radicale dans l’underground

L’underground, c’est avant tout un espace où les codes dominants s’effondrent. L’underground intéresse ce qui échappe, ce qui dérange et interroge. À ce titre, la musique industrielle incarne parfaitement cet esprit. Pourquoi ? Parce qu’elle refuse les structures classiques des industries culturelles. Les pionniers du genre n’ont jamais cherché à entrer dans les charts ou à séduire les majors. Leur terrain de prédilection : les labels indépendants et les circuits alternatifs. Genesis P-Orridge, fondateur de Throbbing Gristle, a fondé son propre label, Industrial Records, en 1976, revendiquant son autonomie et sa liberté artistique. Ces structures, souvent modestes voire précaires, permettaient de diffuser des sons neuf, étranges et frontalement opposés aux standards commerciaux.

Cet attachement à l’artisanat musical a un parallèle direct avec d’autres mouvements underground comme la scène punk ou, plus tard, la techno expérimentale. Les artistes industriels ont inspiré des générations à ne pas attendre de validation extérieure. Une philosophie qui s’est notamment répercutée via le boom des fanzines, des radios associatives ou des festivals DIY où ce genre a pu prospérer.

Une esthétique sonore sombre, mais résolument moderne

La musique industrielle n’est pas qu’une question d’attitude ou de choix de production. Son lien avec l’underground est aussi esthétique. Privilégiant le bruit ("noise"), les nappes synthétiques oppressantes et les rythmiques arides, elle se place à contre-courant des normes d’écoute conventionnelles. Cette quête de l’inconfort – voire du malaise – est au centre de la démarche underground. Peu de genres musicaux prennent le parti de refuser l’agrément immédiat pour provoquer une introspection ou une réaction viscérale.

Des artistes comme Einstürzende Neubauten, utilisant des objets métalliques comme percussions, ou SPK, remixant des bruits de chantiers, s’inscrivent dans l’héritage des mouvements dadaïstes ou futuristes. En poussant plus loin leurs démarches, ils transforment des espaces urbains ou industriels en véritables scènes sonores. Ces choix créatifs ont influencé d’autres scènes alternatives, comme le power electronics ou le noise japonais, dont des figures comme Merzbow ont repris l’héritage tout en radicalisant l’approche sonore.

L’héritage politique et culturel : une contestation permanente

La musique industrielle ne se contente pas d’être un mouvement sonore ; elle est aussi porteuse d’un discours profondément critique. Ses références à la désindustrialisation, à l’oppression institutionnelle ou au contrôle de masse en font un écho direct aux malaises sociétaux. Par exemple, Throbbing Gristle dénonçait la montée du néolibéralisme dans la Grande-Bretagne de Thatcher. SPK, quant à eux, abordaient des thèmes sociaux liés à la psychiatrie et l’aliénation moderne.

Cette critique des institutions et des normes sociales renforce sa place dans l’écosystème underground. Là où l’underground s’affirme comme un espace de réflexion et de contestation, la musique industrielle trouve un terreau fertile pour ses expérimentations tant sonores que philosophiques. Plus qu’un bruit venu des marges, elle est un cri de guerre arrangé pour s’opposer à la société consumériste et normée.

Des ponts inattendus avec d'autres sous-genres underground

L’impact de la musique industrielle dépasse ses frontières d’origine et se diffuse dans d’autres galaxies musicales underground. Prenons la techno par exemple. Les artistes de Detroit comme Jeff Mills ou Underground Resistance ont souvent cité l’influence de l’esthétique dystopique et mécanique de l’industriel. De même, dans des genres comme la darkwave, l’EBM (electronic body music) ou certaines branches du metal, les échos de la démarche industrielle sont évidents. C’est là tout l’intérêt de ce genre : créer des ponts, devenir un laboratoire infatigable pour l’avant-garde.

Par ailleurs, les soirées et espaces où se jouait la musique industrielle – clubs underground, squats, entrepôts désaffectés – ont durablement marqué la culture clubbing alternative et DIY. Les raves des années 1990, avec leur esprit libre et leurs cadres non conventionnels, doivent beaucoup à cette éthique originelle importée par l’avant-garde industrielle.

L’avenir de la fusion industrielle et underground

Alors qu’on pourrait penser que la musique industrielle s’est diluée avec le temps, elle reste une force vive de la culture underground. Les labels spécialisés comme Hospital Productions (fondé par Dominick Fernow, alias Prurient) ou Cold Spring Records continuent de faire vivre un vivier d’artistes dont la vision reste résolument à contre-courant.

Avec l’émergence des technologies numériques, les outils pour créer de la musique industrielle sont devenus accessibles à un public plus large. Et pourtant, cet accès accru n’a pas dilué son caractère underground. Bien au contraire : des artistes autoproduits, des collectifs et des communautés dans des pays comme l’Europe de l’Est, l’Amérique Latine ou l’Asie embrassent l’esprit de cette musique pour proposer leurs propres expérimentations. Loin des masses, la musique industrielle continue de nous rappeler que l’underground, dans sa diversité, reste un espace vital pour l’audace et la révolte sonore.

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